Paul Biya a une fois de plus trahi le peuple

Publié le par Cyrille TCHAMBA

 CAMEROUN_biya_vote_20041011.jpg En affamant délibérément les Camerounais et en voulant s’accrocher au pouvoir jusqu’à la mort, le président ne respecte rien du contrat moral qui le lie à son pays.

 

Je partage l'ensemble des réserves formulées par quelques «hommes libres», ici et là, sur le plan national ou international, pour dénoncer la violence avec laquelle le pouvoir de Yaoundé a décidé, il y a une semaine, de répliquer aux jeunes qui étaient descendus dans les rues, dans presque une dizaine de villes du Cameroun. Par contre j’avoue ne être surpris par la tournure que prennent les choses au pays ces jours-ci, notamment par la résurgence de discours tribalistes. Je le déplore énergiquement et implore le peuple camerounais tout entier de ne pas tomber dans cette spirale nauséabonde et suicidaire ; de cesser rapidement  ces tentatives division malsaines, ceci dans l’intérêt de tous et pour l’avenir de cette « terre chérie ».

En tant que Bamiléké d’origine, je vis tous les jours, à travers des petites attitudes des réflexions, que certains n'hésitent plus à nous considérer comme des "prédateurs" ou, au mieux, des «envahisseurs». Pourtant de bamiléké, je n'ai plus que le patronyme. Née à Ngola, j'en ai adopté ce qu’on peut considérer comme en étant le «mode de vie» et même cette manière de parler et d'agir qui font souvent croire aux gens que je suis un Béti pure souche. Non pas qu'il y ait un style de vie proprement Béti par opposition à un autre, mais tout simplement par cette manière d’aborder la vie en citadin yaoundéen un peu influencé par le bon Bukutsi ou le Medjang et d’autres aspects de la vie dans cette capitale du pays, que nous aimons tous.

Mon cousin de Douala, lui, n'a également de Bamiléké que le patronyme. Il s’identifie d’ailleurs et se démarque totalement de moi par son style de vie à lui, tenant davantage de la grande cité économique qu'est Douala : son Makossa, son bon Ndolè, son poisson braisé. Je dois aussi préciser que mon caveau familial se trouve plutôt à Mbanga dans le Littoral, et que je vis depuis plus de dix ans en France, avec d’ailleurs la nationalité française. D’où suis-je alors dans ce cas ? De quel «ailleurs» devrais-je me sentir ? je considère pour ma part, et quoi que veuillent en dire ceux qui prônent le chaos dans ce pays, que je suis camerounais tout simplement et que je me sens plus que tout autre personne – en tout cas, à l’égalité des autres, de Yaoundé ; autant que le «natif» de Mvog-Ada ou de Nkoldongo.

Ma « multi-culturalité » n’est pas exception dans ce pays ou plus de 52% de la population vit en ville (quand on prend que, selon la définition officielle, une «ville» est un lieu où vivent, de manière regroupée, plus de 5 000 habitants), principalement à Douala et Yaoundé. On a donc raison de s'interroger sur ces fameux "gens d'ailleurs", dès lors que cet appel est signé par un certain nombre de pontes du régime. Ces fameux "gens d'ailleurs" ne seraient-ils pas tout simplement ce peuple qui meurent de faim et qui, chaque jour, s’enfonce un peu plus dans la pauvreté, avec un avenir vouée aux tréfonds de la misère?

Pour ma part je pense que si. Car il serait aberrant de penser que les problèmes des pouvoir d’achat, de manque de centres de santé ou tout simplement manque d’eau potable, s’arrêtent aux portes de Yaoundé pour ne toucher que certaines types de populations et pas les Béti du Mfoundi. La souffrance est générale et partagée à des ampleur a peu près comparable par tous les camerounais du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest. Ces récentes émeutes ne doivent donc pas être instrumentalisées de manière aussi criminelle, tribale, de sorte à taire les vrais revendications sociales, économiques et politiques qui ont conduit de jeunes camerounais dans la rue ces dernières semaines et qui, quoi qu’on fasse, les s’y entraînera encore si les dirigeants ne réagissent pas efficacement pour remédier à l’immense détresse qu’ils vivent au quotidien de leur lutte pour la survie.

Sur le plan social, je pense n’effleurer qu’une infime partie du malaise. Par contre je crois avoir identifié l’autre enjeu des récents évènements qu’est le refus du peuple d’une autre modification de la Constitution du Cameroun. Énormément de voix se lèvent de parts et d’autres pour dénoncer cette détermination de Paul Biya de modifier la Loi fondamentale en vue de s’éterniser au pouvoir. Toutes sortes de personnalités ont pris la parole pour expliquer, en fonction des domaines de compétences, la nécessité de ne pas parvenir à cette extrémité que rien ne justifie en ce moment, même pas ces mensongers «appels de tout le pays» que l’on instrumentalise dans les médias officiels, pour se faire bonne conscience.

En effet, notre pays vit depuis son indépendance sous une sorte d'équilibre des forces sociales et politiques qui fait qu'au fond de chaque camerounais, le rapport à l'Etat est personnel et personnifié. Avant 1990, le chef de l'état était élu au sein du parti UNC puis RDPC par un sorte de grands électeurs ou encore "membres du comité central" composé de personnalité représentant à peu près toutes les sensibilités du pays. Bien évidemment, à cette époque là, il n'était pas question véritablement de Constitution, même s'il en existait une ; on gérait tranquillement l’affaire...

Dans les années fin 80 début 90, une grande partie du peuple avait exprimé, à travers la vague de revendications et une adhésion importante aux partis d’opposition, le souhait de voir de Cameroun adopter un mode de fonctionnement politique clair et démocratique. De cela on connaît la suite : villes mortes, très courte «victoire» de M. Biya aux élections présidentielles du 22 octobre 1992, etc... Puis, en 1996 le pouvoir de Yaoundé évoque le besoin de modifier de la Constitution de 1972 en expliquant aux populations que l’utilité sera de mettre en place un certain nombre d'institutions (Sénat, Conseil régional etc.) et de limiter le nombre de mandats présidentiel. Les réactions furent vives, notamment par ce qu’il était aussi question d’allonger la durée du mandat de 5 à 7 ans et d’en limiter le nombre à 2. Finalement le pouvoir réussi son « coup ».

Les camerounais avaient compris la modification de constitution et la limitation des mandats présidentiels à deux comme une demande implicite de Paul Biya de lui accorder 14 dernières années à la tête de la nation. Lors de ce débat de 1996, les Camerounais comprenaient non pas limitation du mandat, mais inconsciemment le peuple entendait que Monsieur Biya demandait un dernier prolongement de 2 fois 7 ans, et puis c'est tout.

C'est aussi à cette époque que tout le monde commence à parler de l’héritage de paix créditée au régime du Renouveau, on considérait que malgré toutes nos difficultés quotidiennes on était quand même en paix. En cela le score du RDPC à l’élection présidentielle de 2004 prouve bien que ce fameux « deal » était entendu et accepté par les citoyens. Les populations n’avaient cure de l’opposition puisque ce n’était plus le moment et qu’il fallait, au prix d’énormes sacrifices certes, respecter leur part du « deal » passé en 1996 avec Paul Biya lui même. Dans les chaumières, on se dit : « on souffre mais au moins on a la paix ! En plus bientôt Biya partira et on pourra donc respirer un peu ! »

Les manoeuvres de Biya cette fois-ci sont ressenties comme une haute trahison, car le peuple estime avoir respecté sa part d’engagement et que le « père de la Nation » doit et c’est indispensable, respecter sa part du contrat moral.

Monsieur Biya une fois de plus a trahi ce peuple qui, malgré ces longues années de souffrance, avait décidé de donner ses dernières énergies, taire ses souffrances profondes pour enfin voir le « bout du tunnel » tant attendu et surtout accorder le « Pardon » populaire pour une séparation à l’amiable dans la paix, la concorde et l'unité nationale.

 

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